L'appétence au risque : état des lieux d'un facteur majeur de compétitivité
Comprendre, et définir l’appétence au risque
L’appétence au risque est définie comme le degré et le type de risque qu’une organisation est disposée à prendre pour atteindre ses objectifs stratégiques.
Cette notion est au cœur de la politique de risque de toute organisation. En 2016, l’Institut Français des Administrateurs a publié un rapport définissant la notion d’appétence au risque comme “ce niveau de risque « voulu », la balance entre les bénéfices potentiels de la prise de risque (une innovation, un investissement, etc.) et les menaces inhérentes à tout changement.”
Évolutive, cyclique et au cœur de la gouvernance et des enjeux stratégiques de l’entreprise, cette première étape “donne le ton” de la politique de risque, pour offrir une vision globale et centralisée et pour aligner durablement la stratégie de l’entreprise aux opérations quotidiennes. C’est une notion qui reste néanmoins difficile à appréhender pour les risk managers et les professionnels tant par sa nature subjective que ses tenants stratégiques.
APPÉTENCE AU RISQUE, UNE VISION STRATÉGIQUE ESSENTIELLE
Une politique de risque commence par la définition avec les dirigeants de l’appétence au risque de l’organisation. De cette appétence découlent une série d’outils d’évaluation, d’impact potentiels et de maîtrise des risques identifiés. Elle se construit sur une base de raisonnement par élimination : plutôt que de répondre à la question “jusqu’où sommes-nous prêts à aller ?”, on posera la question “où n’allons-nous jamais nous aventurer ? ”.
Il convient également de noter que l'appétit pour le risque peut changer avec le temps. Il faut ainsi évaluer les risques par rapport à des critères de risque périodiquement ou en continu (par exemple une ou deux fois par an, ou quotidiennement dans des scénarios de risque spécifiques), en fonction des circonstances économiques, politiques, des ressources disponibles et de la solidité financière, des compétences, des technologies ou des tendances du marché.
L’appétence au risque est donc régie par une série de facteurs devant être appréhendés ensemble, à l’aune des risques existants et déjà identifiés par l’organisation pour apporter une grille de lecture aussi proche de l’exhaustivité que possible. Ces considérations dessinent le profil de risque d’une entreprise, et sont intrinsèquement liés à son identité propre.
L’appétence au risque : aversion, ou réconciliation AVEC LA PRISE DE risque ?
L’appétence au risque doit également redonner à l’entreprise le goût de la prise de risque, notion souvent connotée négativement. De par leur histoire ou leur business model, certaines entreprises peuvent être plus outillées ou plus expérimentées pour gérer et anticiper certains risques que d’autres; par conséquent, la poursuite de risques plus rentables peut amener une entreprise à acquérir un avantage concurrentiel : ces prises de risques deviennent alors stratégiques. Un élément clé de la définition de l’appétence au risque consiste à se concentrer sur les risques que l’entreprise peut gérer mieux que ses concurrents, clients ou fournisseurs, car il peut s’agir du lien ultime entre risques et opportunités. L’enjeu n’est plus simplement de garantir la résilience de l’entreprise face aux chocs, mais d’en faire une force compétitive à part entière - tout en se protégeant de biais cognitifs classiques, ou de sous-estimation des risques entrepris.
A titre d’exemple, l’appétence au risque des start-ups est au cœur de leur business model, bien qu’elles ne soient pas dans la capacité réelle de les absorber : l’appétence au risque est ainsi bien plus forte que la tolérance réelle au risque - et la nature de l’investissement dans les start-ups, le capital-risque porte bien son nom. Une entreprise monopolistique, en revanche, se focalisera d’abord sur la maîtrise de ses risques existants, puisque les enjeux de conquête de marché sont moins forts. Une entreprise minière opérant à l’international, et notamment sur des marchés fragiles ou peu stables sera en mesure d’aborder et d’absorber les risques externes liés à l’export et à l’implantation à l’étranger, et d’en faire même un cœur de métier.
ANTICIPATION, INACTION, RISQUE TOLÉRANCE ZÉRO : COMMENT CALIBRER LE RISQUE ?
Parce que ces éléments constituent une force stratégique, avoir une appétence au risque déconnectée des évolutions du marché peut s’avérer fatal - l’inaction étant un risque en soi. Le cas d’école de Kodak face à la digitalisation exprime davantage une appétence au risque inférieure aux transformations du marché qu’un simple acte manqué. La prise de risque accrue peut toutefois jouer en faveur de l’entreprise, si celle-ci est en mesure de l’absorber, par une très forte tolérance au risque. Le business model d’Amazon, agressif et notoirement connu pour adopter une posture de “regret minimization strategy” pour sa gestion des risques se traduit par une appétence au risque particulièrement forte, dans l’unique but de capter un maximum de parts de marchés : une recette qui semble fonctionner pour la Marketplace en ligne la plus profitable à ce jour.
Enfin, la prise de risque des “early adopters” des nouvelles technologies payera dans la gestion optimisée des données, des opérations de conformité et de l’automatisation des tâches de l’entreprise - impactant positivement sa résilience tout en prenant une longueur d’avance sur la concurrence. Reste à s’assurer que le risque entrepris est bel et bien stratégique, et que cette appétence reste en ligne avec les enjeux réglementaires et de conformité.
Un risque d’habitude considéré comme “à tolérance 0” - la fraude, la corruption ou la non-conformité - mais entrepris comme une risque stratégique peut s’avérer être tout aussi fatal, et accroîtra les chocs plutôt que les anticiper. Le scandale de fraude sur les émissions carbone de Volkswagen pour capter une plus forte part de marché a fortement dégradé la réputation du groupe, au-delà des impacts juridiques considérables. Ainsi, si le plan stratégique est à l’image des ambitions de l’entreprise, la définition claire de son appétence au risque est une condition essentielle à son succès.
LE RISK MANAGER : MAILLON FORT DE LA STRATEGIE D’ENTREPRISE
Le risque et la création de valeur sont fortement interconnectés. C’est un jeu de compromis et d’équilibre, de mise en perspective où le Risk Manager prend un rôle essentiel : le recul et la vision transversale des opérations, enjeux métiers et points sensibles d’une entreprise permettra de calibrer une appétence au risque réaliste et proche des ambitions, faiblesses, et concurrents de l’entreprise. La création et la mise en œuvre d'une architecture d'appétence au risque implique donc une analyse multidimensionnelle et continue de l'entreprise. Enfin, pour calibrer au mieux l’appétence au risque, il faut s’assurer d’une communication effective du profil risque de l’entreprise à ses collaborateurs, et intégrer une véritable culture du risk management et de la résilience aux disruptions en son sein : un avantage compétitif à part entière.
Par Amina ZAKHNOUF pour VIALYBER